TEXTES CRITIQUES
Anne MALHERBE : «[…] Érick Derac fait partie de cette lignée d’artistes qui, des Dadaïstes à Fabrice Hyber, non seulement ne croient pas à une possible pureté du monde, mais font de l’impureté un principe de création. Transparentes et colorées, les photographies de Derac, dans un esprit aussi joyeux que subversif, se glissent entre le monde et nous, altérant l’image lisse que nous pourrions avoir de celui-ci.
[…] il ne s’agit ni de saisir ou de cadrer le monde, ni de faire sur lui quelque mise au point, ni même de le reconstituer ou de le recréer à travers un montage. La volonté qui préside à ces travaux serait plutôt de mimer la contamination. Mieux que de lamimer, de la pratiquer. […] Bien qu’ils s’emploient à en déjouer les effets, les travaux de Derac usent ouvertement des moyens de la séduction. Les insertions colorées ont un effet de vitrail, les Poussières offrent à première vue les silhouettes aériennes et graciles d’une peinture de Mirò, les Points de vue se composent en kaléidoscope. Si la réalité est gouvernée par le mensonge des apparences, mais si, derrière, on n’est guère assuré de trouver quelque base solide, alors la séduction, finalement, reste, elle, irréductible, laissant le regard sans repos. […] »
Anne Malherbe, « Éloge de l’impureté » in catalogue Erick Derac : Manipulated, Composed and Design
Richard LEYDIER : «[…] Au cours de son histoire, quelques artistes ont tracé une voie personnelle et inédite, souvent en « bricolant » très simplement la technique. Certains, comme Man Ray, ont entrepris diverses expériences afin de dynamiter le médium de l’intérieur. Ces quinze dernières années, des créateurs comme Emmanuel Carlier, Éric Rondepierre ou Henri Foucault ont contribué à pervertir, et ainsi renouveler, le langage de la photographie. À tel point qu’ils semblent moins faire de la photo que travailler avec elle, et parfois contre elle. D’ores et déjà, Érick Derac appartient à cette famille de « photographes » atypiques. Les titres de ses séries expriment d’emblée une volonté de refondation (Sources, Chantiers), d’hybridation (Interférences, Contaminations, Partage d’espaces), et d’exploration (Dérives) du médium photographique ; et ce, en le malmenant, en le violentant quelque peu (Dissolutions, Altérations, Caviardages). Si les intitulés empruntent tant au vocabulaire médical et laborantin, c’est bien que la démarche relève à la fois de l’opération chirurgicale et de l’expérimentation. […]»
Richard Leydier, « La photographie au scalpel » in catalogue Erick Derac : Manipulated, Composed and Design
Christian GATTINONI : «[…] il inverse les relations du micro et du macrocosme. Après la séance de prise de vues où l’espace englobe son corps derrière sa machine d’images sur son trépied, il passe à la maîtrise de la table lumineuse où il ré-englobe l’espace. Il affine ses outils pour une microchirurgie réparatoire des surfaces urbaines. […]»
«[…] Ces oeuvres n’instaurent pas seulement un espace autonome où le lecteur peut expérimenter ses propres craintes et fantasmes. Elles le ramènent comme le note l’auteur à “une image du désordre de la pensée dans un temps expérimental T qui n’est plus”. […] Dès lors nous assistons à une sorte d’épidémie neuronale qui attaque la matière même de ces lieux. […] »
Christian GATTINONI, in catalogue Jeune Création, PARIS.
Bernard MARCELIS : «[…] Toutes les images sont manipulées au laboratoire, sans la moindre intervention digitale, comme ultime ambiguïté.
Le travail d’Érick Derac porte en fait sur une certaine forme de recomposition du paysage qu’il qualifie de corrigé, de nouveau ou qu’il considère comme en chantier. La notation topographique renvoie à des questions d’échelle et d’étalonnage, à des bouleversements de perspective, bref à une recréation complète du paysage. […] »
Bernard MARCELIS, in artpress n° 300
Gabriel BAURET : «[…] À l’heure où les expériences de recréation de l’espace passent par des procédures numériques savantes qui tendent souvent à dissimuler les traces du travail, Érick Derac se distingue au contraire par des montages plastiques dont les sutures et la matière sont visibles. Sa pratique chirurgicale de la photographie met à jour une réflexion sur l’espace, sur la façon de le représenter en deux dimensions, sur la perspective.»
Gabriel BAURET, in catalogue 5èmes rencontres photographiques de Sud-Gironde, LANGON.
Richard LEYDIER : «[…] Derac intervient dans le corps sacro-saint de la photographie : l’ektachrome. Mais c’est un corps mort, le numérique l’ayant relégué au rang d’objet quasi préhistorique. Le geste de Derac est celui d’un iconoclaste, au sens où, paradoxalement, « il détruit parce qu’il veut sauver » (Marie-José Mondzain). L’artiste agit donc à la manière d’un médecin légiste doublé d’un professeur Frankenstein désirant, par le biais de l’hybridation, insuffler une vie nouvelle à un cadavre translucide. Il crée en quelque sorte des « monstres ».[…]»
Richard Leydier, « La photographie au scalpel » in catalogue Erick Derac : Manipulated, Composed and Design
Liv TAYLOR : « Bien que le titre de l’exposition s’étire, l’œuvre d’Erick Derac est le contraire d’une œuvre à rallonge. Elle est plutôt ajustée comme un fil tiré au cordeau. Concise jusque dans la critique qu’elle fait du réel. Ce qui ne l’empêche pas de tenter des débordements, de chercher la faille dans la matière, précisément dans la matière photographique.
A la Galerie municipale de Vitry-sur-Seine, Erick Derac propose plusieurs séries de photographies réalisées entre 2003 et 2007. Plutôt qu’une mini-rétrospective, l’artiste plante le décor d’une œuvre en construction: on le voit créer des jeux d’aller-retour, inviter des tableaux-parasites à piquer le regard et briser la belle ordonnance de l’accrochage (la série des Caviardages). Erick Derac tord le parcours, traçant des diagonales dans un lieu qui d’ordinaire dessine de longues horizontales. Son exposition prend même des allures de chantier lorsqu’il place un tissu polyane au cœur du dispositif scénographique. La matière plastique, indéterminée entre l’opaque et le translucide, sert autant de support aux œuvres que de rideau pour l’œil. Elle fait obstacle, littéralement, physiquement. Elle donne le rythme d’une œuvre qui ne se résolue pas aux mirages et à la séduction des images. Car ce parcours élastique, aussi bien en termes d’espace que de chronologie, vient servir un propos sans concession sur la photographie et sur les pièges de la représentation.
Erick Derac brise les conventions du médium en intervenant directement sur l’ektachrome avant même que celui-ci soit utilisé pour le tirage. Intervenir c’est-à-dire abîmer, salir, gratter, recouvrir à l’aide de peintures, de films couleurs, de bouts de scotch, de poils, de poussière, cette fameuse poussière que Duchamp avait déjà élevé au rang d’œuvre d’art.
Les décors forestiers, les paysages urbains des photographies «primitives» d’Erick Derac sont donc détournées ou pour mieux dire «reprisées» comme on le dirait chez les couturiers. Le quotidien de l’artiste y prend ses aises, à tel point qu’à l’échelle d’un ektachrome, il paraît totalement démesuré. C’est un monde parallèle qui se glisse entre l’œil et l’image, un conglomérat de matières et de particules aussi singulier qu’il peut être familier. Un monde qui déplace les frontières du réel, transforme le connu en continent orphelin (série Dérives), en topographie inédite (séries Sources et Tu n’es poussières), en abstraction impétueuse et décalée (séries Leurre et Partage d’espace). Avec ses photographies retravaillées, Erick Derac construit une étrange alchimie, séduisante et monstrueuse à la fois. Comme si l’on avait greffé des prothèses males taillées sur le dos du monde sensible. Sur chacune de ses photographies, Il met à mal les repères de l’esthétisation du réel.
Et la série des Caviardages, ces figures grossières peintes sur des pages de magazine (celles-là même qui dévoilent la beauté raide des mannequins), en sont les merveilleux avatars.»
Liv Taylor, ParisArt.com, « A propos de l’exposition Manipulated, composed and designed (leurre et propagande) »
Richard LEYDIER : «[…] Derac intervient dans le corps sacro-saint de la photographie : l’ektachrome. Mais c’est un corps mort, le numérique l’ayant relégué au rang d’objet quasi préhistorique. Le geste de Derac est celui d’un iconoclaste, au sens où, paradoxalement, « il détruit parce qu’il veut sauver » (Marie-José Mondzain). L’artiste agit donc à la manière d’un médecin légiste doublé d’un professeur Frankenstein désirant, par le biais de l’hybridation, insuffler une vie nouvelle à un cadavre translucide. Il crée en quelque sorte des « monstres. […]
On aura relevé combien le travail de découpage et de recomposition dans le calme de l’atelier tranche avec celui de la prise de vue, plus conceptuel. La « post-production » au scalpel autorise des excès, l’avènement de visions que la photographie « objective » s’interdit. L’artiste projette son inconscient dans
un espace de 6 x 7 cm, celui de l’ektachrome. En lui greffant ce qu’il nomme des « scories mentales », il réinjecte de l’humain, du hasard, du chaos, dans des images chargées originellement de connotations tristement terre-à-terre : abandon économique, pollution de l’environnement… D’autant que le hors
champ de l’image a ici son importance, l’artiste collectant sur les lieux de la prise de vue divers déchets (papiers de bonbons, insectes morts, brindilles, feuilles mortes) qu’il colle sur l’ektachrome à partir de la série des Songes-environnement, 2000-2001. Les différences d’échelle suscitent alors des rencontres et transformations surprenantes, tel arachnide géant paraissant grimper sur la façade d’un immeuble, telle feuille morte rongée par le pourrissement devenant, traversée par la lumière, le plan d’un lotissement de banlieue. L’accumulation et l’incrustation de ces scories mentales génèrent de la folie et de la poésie dans un monde trop rationnel, comme les démons tourmentent la figure stoïque de Saint Antoine.
L’artiste est un réceptacle, au même titre que son appareil photo, et tout l’enjeu des compositions d’Érick Derac consiste à mettre en scène le conflit entre ces deux types d’enregistrement de la réalité. […]
À la faveur d’une résidence non loin de Carcassonne, il est amené à photographier, non plus des zones industrielles ou des bâtiments déclassés, mais des paysages arborés, nouveau motif qui le contraint à redéfinir son approche de l’image. Pour cette série intitulée Dérives, 2003-2006, les ektachromes ne sont plus découpés, mais leur surface est altérée, la pointe du scalpel grattant les couches d’émulsion rouge et jaune pour mettre au jour celle de bleu. Les forêts deviennent ainsi d’étranges cartographies évoquant le Nord du Canada, troué çà et là de lacs, des archipels imaginaires, ou encore un sol herbeux pointant à travers une mince couche de neige lors de la fonte printanière. Les transformations poétiques jouent ici à plein, des motifs apparaissant dans les découpes épargnées par le grattage : là, un corps de femme ; ici, la peau séchée et tendue d’un animal. Lascaux n’est pas bien loin…» […]
Richard Leydier, « La photographie au scalpel » in catalogue Erick Derac : Manipulated, Composed and Design